Une initiative recense les morts de la répression au Sénégal
15 février 2024El Hadj Mamadou Cissé est l'un des "visages" de la répression des manifestations de juin 2023, lorsque des tirs ont ciblé des manifestants qui protestaient contre la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko. Selon sa famille, l'étudiant en lettres modernes, âgé de 26 ans, revenait de la mosquée lorsqu'il a été pris dans les affrontements et abattu.
Même s'il ne le connaissait pas personnellement, Abdallah Badji a été touché par la mort de ce garçon qui avait à peu près le même âge que lui. "Je suis venu, j'ai trouvé ses amis ici. Ils avaient étalé une natte et étaient en train de prier pour lui et c'est quelque chose qui m'a vraiment touché", témoigne le journaliste, encore ému par ce souvenir.
Recenser les victimes de la contestation
Abdallah Badji a rejoint le collectif CartograFreeSenegal, une initiative citoyenne qui réunit des journalistes, des cartographes et des spécialistes des données pour recenser les victimes de la contestation.
Depuis la reprise des manifestations, après l'annonce du report de l'élection présidentielle par Macky Sall, les membres du collectif ont beaucoup à faire.
Les troubles ont causé la mort d'au moins trois personnes depuis début février. Des victimes qui s'ajoutent aux 29 documentées par le collectif en juin, mais aussi aux nombreux autres morts recensés depuis 2021, lors des émeutes liées au feuilleton judiciaire autour d'Ousmane Sonko.
"C'est un constat que le bilan qui a été annoncé officiellement ne correspondait pas aux échos que nous avions à l'époque, lors des manifestations de juin (2023, ndlr.)", explique Moussa Ngom, fondateur de CartograFreeSenegal. "Même par rapport aux chiffres qui n'étaient donnés que partiellement, nous ne savions pas quelle était l'identité des personnes décédées qui étaient recensées par l'Etat du Sénégal."
Des manifestants jeunes et défavorisés
L'analyse des données a montré que la plupart des victimes ont été tuées par balle. Et que les manifestants sont de plus en plus jeunes : les trois derniers tués étaient âgés de 16, 22 et 23 ans, alors qu'en juin 2023, la moyenne d'âge des victimes était plutôt de 27 ans.
"C'est quelque chose qui montre qu'il y a une classe très, très jeune de personnes qui sont décédées lors de ces manifestations et qui appartenaient à des couches sociales plus ou moins défavorisées", analyse Moussa Ngom.
Pour lui, le rôle de CartograFreeSenegal est aussi de mettre des visages derrière les chiffres, pour permettre un travail de mémoire autour des vies perdues durant les manifestations.
Les famille des victimes ont soif de justice
Selon lui, les familles des jeunes tués sont en train de se résigner car elles ne croient plus en la justice. Malgré les promesses du gouvernement sénégalais, aucune enquête n'a encore abouti.
Abdoulaye Bâ, le parrain de Mamadou Cissé, l'étudiant tué en juin, dit attendre de "l'Etat qu'il fasse justice et qu'il indemnise au moins sa famille, car Mamadou était le fils ainé de sa mère et aujourd'hui, elle n'a plus de soutien. Mamadou avait 25 ans quand il a été tué et depuis, il n'y a pas eu d'enquête, la justice n'a pas été faite."
Moussa Ngom et son équipe se disent guidés par des principes humanistes, sans aucun parti pris politique. Ils veulent seulement que la justice soit rendue pour les victimes.