Le terroriste Harouna Oulel "neutralisé" au Burkina Faso
24 janvier 2024Harouna Oulel a été tué, selon l'armée, dans la région du Sahel au cours d'une opération le 21 janvier. L'analyste et spécialiste du Sahel, Seidick Abba revient sur le profil et l'impact de son élimination.
DW : Quel poids réel avait Harouna Oulel au sein de l'EIGS?
Seidick Abba : C'était un chef opérationnel de l'Etat islamique au Grand Sahara. Il est considéré comme le numéro deux de l'Etat islamique au Grand Sahara, dans la zone des trois frontières.Cela veut dire qu'il a participé à la conception, à l'exécution des opérations. Donc, c'est un chef stratégique opérationnel qui vient d'être éliminé par les forces armées du Burkina Faso. Je pense que ce n'est pas négligeable en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et cela pourrait avoir un impact.
DW : Avec sa "neutralisation" est-ce un coup dur qui est porté à l'Organisation ?
Seidick Abba : Par le passé, les mouvements djihadistes de cette zone ont quand même montré leur capacité de résilience. L'élimination d'un chef ne constitue pas un tournant dans la lutte contre le terrorisme dans la zone des trois frontières, parce que les mouvements ont développé la capacité de pouvoir remplacer le chef qui est éliminé par un autre. Et à partir du moment où le chef est remplacé par un autre, les opérations djihadistes vont continuer. C'est vrai qu'elles n'auront peut-être pas la même orientation, mais les opérations vont continuer et l'élimination d'un chef ne suffit pas.
C'est pour cette raison que la réponse sécuritaire et militaire ne suffit pas, parce que le terreau du recrutement va continuer. A partir du moment où on peut recruter, avoir de nouvelles recrues, on peut toujours trouver un leader parmi les personnes qu'on a recrutées ou parmi les personnes qui étaient déjà là qui peuvent prendre le relais. Donc, c'est pour ça que l'élimination d'un chef à lui seul ne suffit pas.
Même quand les forces internationales étaient là, on disait qu'on a éliminé 3.000 terroristes. Mais entre temps, ils en avaient recruté 15.000 et parmi lesquels il y avait des leaders qui pouvaient continuer. Donc l'élimination à elle seule ne va pas constituer un stop de la lutte contre le terrorisme et ne va même pas le faire reculer. Ça peut impacter pour une période, mais très vite, ils vont se réorganiser et mettre en place leurs capacités de résilience.
DW : C'est une opération aérienne qui a permis sa "neutralisation". Quand on sait que les moyens aériens étaient ce qui manquait aux forces armées de la région, comment comprendre qu'au Burkina ils y soient arrivés maintenant ?
Seidick Abba : Je crois qu'une des valeurs ajoutées du partenariat qui a été fait par les pays, que ce soit le Mali, que ce soit le Burkina avec la coopération russe, c'était la possibilité d'avoir des vecteurs aériens, les moyens de transport de troupes et les moyens d'attaque. Et ça, ces moyens ont permis aujourd'hui de prendre le dessus par rapport aux groupes djihadistes. Vous savez, à armement égal entre les groupes djihadistes et les Etats, ce qui manquait aux Etats, c'était la composante aérienne, une aviation légère de combat et la coopération avec la Russie a permis à ces pays justement d'avoir cette légère aviation de combat qui est aujourd'hui utilisée. Outre la coopération avec la Russie, les pays ont acheté du matériel volant auprès de la Turquie, particulièrement les drones d'attaque. Et ces drones d'attaque sont massivement utilisés et on voit qu'ils obtiennent des résultats avec ces éliminations, mais aussi avec des frappes qui permettent de desserrer les sièges des villes ou des villages qui sont faits par les groupes terroristes.
DW : Que fera la transition de cette annonce ? Redonner de l'espoir ou l'utiliser pour la propagande et justifier des exactions?
Seidick Abba : Non, quel que soit l'usage que l'on pourrait faire, c'est indiscutablement une bonne nouvelle pour la lutte contre le terrorisme, surtout dans le contexte actuel où les trois Etats se sont mis ensemble pour créer l'Alliance des Etats du Sahel. Le fait qu'ils obtiennent des résultats, l'élimination des grands chefs de combat va leur permettre de les conforter dans leur stratégie actuelle qui obtient des résultats. Et ça va les conforter aussi dans la stratégie de dire qu'on n'a pas forcément besoin de la présence internationale pour obtenir des résultats. Voilà, là, il y a cette élimination. Avant ça, il y a eu la libération de Kidal par les forces armées maliennes. Donc les pays vont se dire que leur stratégie actuelle est la meilleure et qu'ils obtiennent des résultats. A mon avis, on ne peut pas ne pas reconnaître qu'il y a une dynamique qui s'est créée par rapport à la lutte contre le terrorisme au Sahel et il faut espérer que cette dynamique se poursuive en obtenant des résultats. Mais il faut aller au-delà des résultats sur le plan sécuritaire et militaire pour intégrer la question du développement, la question de la gouvernance, la question des ressources naturelles. Et c'est ensemble, avec une réponse holistique et transnationale, qu'on peut relever le défi de la lutte contre le terrorisme au Sahel.