Critiques envers la politique d'asile de l'Allemagne // Les civils libanais, victimes collatérales de la guerre
Pour obtenir le permis de séjour au "Fremdistan", un jeu de mot en allemand qui combine les mots "pays" et "étranger", les participants doivent relever trois défis : s'orienter dans la jungle bureaucratique, surmonter la peur de l'avenir dans une pièce totalement obscure et enfin tenir bon dans un étroit logement collectif pour réfugiés. Bienvenue dans cet "escape room" d'un genre particulier.
Ce sont des jeunes Syriens, Afghans et Irakiens qui ont créé ce jeu à Bonn, en collaboration avec l'association d'aide aux réfugiés locale. L'objectif : montrer aux Allemands ce que ressentent les demandeurs d'asile quand ils arrivent en Allemagne.
"Pourquoi avons-nous choisi cette méthode ? Tout simplement pour thématiser la peur", explique Nadja Müller de Ossio, de la Flüchtlingshilfe Bonn.
"Wir schaffen das... nicht" ?
Un jeu qui illustre aussi le tournant qu'est en train d'opérer l'Allemagne en matière de politique migratoire, avec un débat centré sur l'impossibilité d'accueillir encore plus de réfugiés. En 2023, plus de 267.000 personnes ont déposé une demande, dont 32.000 rien qu'en octobre - un record pour l'année en cours.
L'Allemagne a également accueilli plus d'un million d'Ukrainiens qui ont fui la guerre dans leur pays. Conséquence : de nombreuses communes allemandes, qui gèrent l'accueil des réfugiés, affirment être au maximum de leurs capacités.
Huit ans après la phrase légendaire d'Angela Merkel "Wir schaffen das" ("On y arrivera"), l'heure est plutôt à "Wir schaffen das... nicht" ("On n'y arrivera pas"). Le tout dans un climat anti-migrants porté jusque dans les partis dits "du centre" comme la CDU de l'ancienne chancelière, aujourd'hui dans l'opposition.
Le successeur d'Angela Merkel, Friedrich Merz, affirmait récemment que les demandeurs d'asile déboutés autorisés à rester en Allemagne empêcheraient littéralement les Allemands d'obtenir des rendez-vous chez le dentiste car ils profiteraient du système pour se faire soigner correctement. Un pur mensonge, comme l'ont montré les journalistes fact-checkeurs, preuves à l'appui.
L'influence de l'extrême-droite sur le débat migratoire
Un débat aux accents fortement populistes, portés par le succès dans les sondages et dans les urnes de l'AfD, le parti d'extrême-droite qui siège au Bundestag depuis 2017, déplore Nadja Müller de Ossio, de l'association d'aide aux réfugiés de Bonn.
"Ce qui me rend folle dans le débat politique actuel, c'est la façon dont les réfugiés sont déshumanisés. En réalité, il s'agit d'un faux débat pour contrer les résultats électoraux incroyablement bons de partis comme l'AfD."
L'organisation Pro Asyl, qui défend les droits des réfugiés, utilise des mots très durs pour qualifier le débat actuel. Tareq Alaows est un des porte-parole de l'organisation.
"En Allemagne, on a un débat très toxique sur la fuite et la migration, dont le seul but est de dédouaner de leur responsabilité le gouvernement actuel, mais aussi les gouvernements précédents et les partis démocratiques, et de faire des demandeurs d'asile les boucs-émissaires de la crise actuelle. On a une pénurie de logements, pas assez de place dans les écoles ou les crêches, un manque d'infrastructures dans les communes. Mais cela est dû à l'échec des politiques sociales des dernières décennies."
Accélération des expulsions, entre autres
C'est dans ce contexte que le gouvernement fédéral et les Länder se sont accordés la semaine dernière sur une série de mesures restrictives pour les demandeurs d'asile. On y trouve par exemple l'allongement du temps d'attente pour l'accès aux prestations sociales - 36 mois au lieu de 18 actuellement, ou encore la suppression des versements en liquide au profit d'une carte de paiement.
L'accord prévoit aussi des contrôles renforcés aux frontières pour empêcher l'entrée illégale sur le territoire ainsi qu'une accélération des expulsions pour les personnes dont la demande d'asile est rejetée.
Beaucoup d'associations, dont Pro Asyl, sont montées au créneau, pour critiquer ces mesures, notamment celles qui restreignent les droits des demandeurs d'asile en cours de procédure. Tareq Alaows appelle le gouvernement à ne pas copier les revendications de l'AfD :
"C'est dangereux et cela montre que le débat n'est plus rationnel, orienté vers des solutions, mais plutôt une compétition pour voir qui peut traiter les réfugiés encore plus mal et qui a les meilleures idées pour exclure les réfugiés."
Travailler en Allemagne ?
Pro Asyl pointe aussi le risque de diviser encore plus la société allemande sur sa perception des étrangers, à un moment où l'Allemagne a désespérément besoin de main d'œuvre étrangère qualifiée.
"Je parle avec des gens à l'étranger qui me disent clairement : si je peux partir de mon pays pour travailler, je n'irai pas en Allemagne, je préfèrerai d'autres pays comme le Canada ou l'Australie où on est traité comme des êtres humains."
Certaines mesures envisagées par le gouvernement, comme l'allongement de la durée d'attente pour recevoir des aides sociales, pourrait bien être annulées par la Cour constitutionnelle. La plus haute juridiction allemande a déjà dans le passé statué sur le fait qu'on ne peut pas diminuer des prestations sociales sous prétexte de vouloir empêcher des "incitations à la migration"...
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Au Liban, des civils pris entre deux feux
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