Les immigrés inquiets avant les votes en Saxe et en Thuringe
28 août 2024Dimanche [01.09.24], deux Länder de l'est de l'Allemagne sont appelés à renouveler leur Parlement régional. Il s'agit de la Saxe et de la Thuringe. Ces deux régions faisaient partie de la RDA avant la réunification allemande et deux régions dans lesquelles l'extrême-droite menace de faire de bons scores.
Comment réagissent les immigrés qui vivent sur place à cette possible percée électorale de l'AfD ?
Le racisme quotidien
Imaginez-vous dans le train, en Allemagne. Contrôle des billets. La contrôleuse demande à voir tous les titres de transports. Mais Nour Al Zoubi est la seule passagère à devoir en plus fournir une pièce d'identité. Sinon, l'employée menace d'appeler la police sur-le-champ.
Des humiliations de la sorte, Nour Al Zoubi, qui est née en Syrie, en subit régulièrement dans la petite ville allemande de Gera, où elle vit.
"Il existe un racisme au quotidien, reconnaît-elle. Mais après six ans passés à Gera, je m'y suis habituée et sais comment réagir, la plupart du temps."
Nour Al Zoubi travaille pour le Conseil des réfugiés du Land de Thuringe.
Culture d'accueil
Il y a quatre ans, elle a même reçu un prix d'intégration pour un journal qu'elle a lancé en direction des personnes réfugiées.
Nour Al Zoubi n'envisage pas de quitter la région, en dépit des informations des services de renseignement qui prédisent une victoire de l'AfD aux régionales de Thuringe, dimanche. Désormais, elle se sent chez elle. D'ailleurs, précise-t-elle, "le nombre d'électeurs de l'AfD a augmenté, mais le nombre des Allemands qui s'engagent pour une culture de l'accueil aussi."
Heureusement, car, comme le rappelle Nour Al Zoubi, la plupart des étrangers qui vivent en Thuringe n'ont pas la possibilité de déménager. Certains sont même astreints par l'administration à rester au moins trois ans sur place.
Pour la jeune femme, une victoire de l'AfD aurait des répercussions bien visibles : "Nous allons voir les cas de racisme prendre de l'ampleur dans l'espace public. Cela n'en restera pas aux insultes, ça va passer à la violence physique. C'est ce qui me fait peur, surtout quand on entend ce qui se passe en Grande-Bretagne, à Southport", déclare-t-elle en référence aux émeutes racistes qui ont éclaté récemment suite à un fait divers, au Royaume-Uni.
En décembre 2023, le chef régional de l'AfD, Björn Höcke, a fait hurler à son public des slogans nazis lors d'un meeting à Gera.
L'inquiétude à Dresde
150 kilomètres plus loin à l'est, dans la ville de Dresde, Ismaïl Davul est lui aussi inquiet.
Né en Turquie, il est venu étudier en Saxe en 2006. Depuis onze ans, il travaille pour le Conseil des étrangers de la ville.
Dans le cadre de son activité, il organise aussi des réunions de parents d'élèves. "Certains m'ont déjà demandé comment la situation allait évoluer en Saxe en cas de victoire de l'AfD, raconte-t-il. Ce que ça allait changer pour nous. Les gens ont vraiment peur."
Ismaïl Davul tente de calmer ces inquiétudes en expliquant que les partis démocratiques combattront le virage à l'extrême-droite, au niveau communal, que la situation ne va pas changer du jour au lendemain. Mais les services communaux enregistrent effectivement une hausse des attaques contre les personnes immigrées.
"Par le passé, l'agression d'un migrant restait un cas isolé, se souvient Ismaïl Davul. Il y avait aussi une plus grande attention médiatique à la chose, on considérait que cela était inacceptable. Mais aujourd'hui , on nous dit que ça arrive tous les jours qu'une personne immigrée soit attaquée, insultée, qu'on lui crache dessus. A cause de son apparence, de sa couleur de peau ou de sa langue. Hélas, c'est devenu presque courant dans l'espace public"
Vote pro-AfD malgré la "remigration"
Pourtant, certains électeurs d'origine étrangère se disent prêts à voter pour l'AfD. Ce parti qui a popularisé le concept de "remigration" : des déportations de masse qu'il propose pour se débarrasser des étrangers.
Özgür Özvatan, sociologue politique de l'Université Humboldt de Berlin, a étudié le phénomène chez les électeurs d'origine turque et les Russes allemands.
"L'extrême-droite s'adresse d'abord au nationalisme des gens, analyse le chercheur, pour leur dire que ce n'est pas une mauvaise chose en soi d'être patriote. Une vidéo pro-Erdogan essaie de jouer sur les émotions des personnes d'origine turque. Pour les Russes allemands, on leur rappelle qu'ils ont dû abandonner leur langue pour apprendre au plus vite l'allemand, mais qu'ils restent invisibles alors qu'ils ont dû tout laisser derrière eux il y a 30 ans."
Le ciblage des électeurs potentiels
L'AfD essaie d'opposer les immigrés installés de longue date en Allemagne aux nouveaux arrivants. Elle s'adresse aux anciens pour mettre en valeur leurs efforts, le travail qu'ils ont fourni pour s'intégrer, contrairement aux nouveaux à qui l'Allemagne offrirait tout d'emblée. Cela est faux, mais ce genre de discours plaît. Alors, l'AfD n'hésite pas à investir dans des campagnes de communication, voire même à recourir à des influenceurs.
Özgür Özvatan explique que "l'AfD a appris à cibler des groupes particuliers sur les réseaux sociaux. Elle a bien cerné l'algorithme qui permet de diffuser en même temps des avis quasi contraires. Et l'avantage que cela présente pour les partis antidémocratiques, c'est que les contenus courts ou faux ont un plus fort potentiel viral."
Les premiers résultats des votes en Thuringe et en Saxe seront disponibles dès dimanche soir.
Les élections régionales qui pourraient marquer encore une amélioration du score de l'AfD sont celles prévues le 22 septembre dans le Brandebourg.