Il y a dix ans, le 31 octobre 2014, un soulèvement populaire a contraint Blaise Compaoré à quitter le pouvoir et à fuir le Burkina Faso. Celui-ci dirigeait le pays depuis l’assassinat de Thomas Sankara, en 1987. Il est donc resté en place durant 27 ans et voulait briguer un cinquième mandat.
Depuis son renversement, Blaise Compaoré est exilé en Côte d’Ivoire. La justice burkinabè l’a condamné, en 2022, par contumace, à la prison à perpétuité pour sa participation à l’assassinat de son prédécesseur.
Pour Alassane Zoromé, analyste politique burkinabè, les manifestations qui ont conduit au départ de Blaise Compaoré en 2014 sont nées de la "grande frustration" de nombreux Burkinabè.
Interview avec l'analyste politique burkinabè Alassane Zoromé
DW : Le 31 octobre 2014, Blaise Compaoré est renversé par un mouvement populaire suite à plusieurs jours de manifestations alors qu'il était au pouvoir depuis 27 ans et qu'il avait annoncé qu'il comptait briguer un nouveau mandat quelques mois plus tard. Comment est ce qu'on en est arrivé là ? Qu'est ce qui a motivé cette insurrection populaire ?
Ça a été une résultante d'une longue frustration du peuple burkinabé dans sa grande majorité.
Parce que depuis un certain temps, la jeunesse ne se sentait pas concernée par les politiques publiques qui étaient mises en place par le régime Compaoré.
Donc cette insurrection avait été enclenchée depuis fort longtemps par la jeunesse d'abord sur les réseaux sociaux, mais elle a été récupérée par l'opposition politique conduite par Zéphirin Diabré en son temps.
Mais par la suite, l'insurrection s'est terminée entre les mains des militaires qui ont su cadrer la situation et surtout après la déclaration du président Compaoré sur la suspension de la révision de l'article 37 et de la suspension du gouvernement.
DW : Et qu'en est il des anciens dirigeants de l'ère Compaoré ? Blaise Compaoré lui même vit en exil depuis 2014 en Côte d'Ivoire.
Il a été jugé par contumace et condamné, à l'instar d'autres grands dignitaires comme le général Diendéré, pour leur participation à l'assassinat de Thomas Sankara. Mais où en est le CDP ? Où en sont les gens qui étaient au pouvoir en 2014 ?
Pour ce qui concerne les proches du président Blaise Compaoré, il faut souligner que beaucoup se sont reconvertis rapidement après la chute du président à travers des créations de nouveaux partis. Ceux qui ont été vigilants avant la chute du régime, ce sont eux qui ont fait ce qu'on appelle un mea culpa, pour rediriger le pays.
C'est ce qui s'est passé particulièrement avec l'ensemble des membres du parti MPP qui a dirigé le pays après la transition.
Ce sont des membres de l'ancien CDP [ex-parti de Blaise Compaoré, ndlr].
C'est la conséquence d'ailleurs de ces frustrations qui nous a poussés actuellement dans une situation d'insécurité encore jamais vécue au pays, avec une crise humanitaire accrue depuis 2016 et une société bien fracturée.
DW : Qu'est ce qui a changé au sein de la société civile burkinabè durant ces dix dernières années ? Il n'y a plus de grandes mobilisations populaires, de contestations, alors même que le pays a été marqué par l'instabilité politique...
Il y a eu d'abord la transition, mais, juste après, la transition avec l'avènement du régime MPP. Alors on a basculé dans l'insécurité.
En termes de changement, ou du moins au niveau des organisations de la société civile, les contestations ont continué.
Et ça, il faut le dire. Ce sont d'ailleurs les contestations qui ont occasionné le coup d'État militaire du président Damiba.
Et c'est des contestations au niveau de la société civile qu'on est parvenu au régime du MPSR [Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, ndlr] dirigé par Son Excellence le capitaine Ibrahim Traoré qui fait de son mieux actuellement pour que le pays puisse rester débout.
DW: Et le paysage politique burkinabé ? Est-ce qu'il a foncièrement changé ces dix dernières années ?
Il est difficile de parler du paysage politique.
Parce qu'après la chute du président Compaoré, il y a eu la transition qui avait redressé un peu le pays pour apporter des normes et pour apporter également des réformes sur le plan politique, sur le plan administratif.
Et ensuite, il y a eu l'avènement du régime MPP avec ses vices qui a divisé le pays sur sept ans alors et qui a fini par être balayé par le coup d'Etat du régime Compaoré.
La société civile a joué un rôle important parce que pendant ce temps, il y a eu quand même un certain nombre de normes qui avaient été respectées.
Alors maintenant, par rapport à l'avènement du MPSR, depuis l'avènement du MPSR 1 et 2, les activités politiques ont été suspendues par un décret.
Mais jusqu'à présent le MPSR2 qui a conduit cette suspension ne l'a pas encore levée.
Donc du coup, il est difficile de parler vraiment de coloration du paysage politique.
Actuellement, nous sommes dans une situation de transition, et on est en train de parler d'une d'une révolution.
Alors si c'est un chemin qui peut nous pousser vers la vraie démocratie, bon tant mieux.
Chaque Burkinabè, dans son for intérieur pourra faire une appréciation.
DW : Et une dernière question sur le terrorisme. En 2014, Blaise Compaoré quittait donc le pouvoir et deux ans après, en 2016, le pays a commencé à être frappé par des attaques de groupes armés. Est-ce que vous y voyez un lien de cause à effet ?
Il faut dire que le terrorisme existait sur notre sol avant le départ du du président Blaise Compaoré.
Seulement, c'était une situation qui qui était plus ou moins contrôlée parce que, personnellement, j'ai eu l'opportunité de faire quand même pas mal de provinces pendant pendant le régime du président Compaoré et particulièrement entre 2013 et 2014.
Il y avait des suspicions de terrorisme, seulement, les services de renseignements étaient sous alerte et à tout moment, ils n'arrivaient à contrôler la situation.
Mais avec la transition, il y a eu un silence - et avec la prise du pouvoir du MPP - et les gens n'ont pas su prendre les choses en main.
Rapidement et on a basculé dans l'insécurité.